Mouvement Desjardins : histoire et rôle de la communication dans son développement [1]

Qu’est-ce que les caisses populaires haïtiennes peuvent apprendre de cette sœur aînée?

Toile de Turgo Bastien
Dès 1900, l’année de la création de la première caisse populaire Desjardins, les responsables du Mouvement ont accordé une place importante à la communication. Ils « voulaient expliquer les principes coopératifs, faire connaitre les services financiers offerts par les composantes du mouvement Desjardins, contribuer à l’éducation des consommateurs, contrer la concurrence des autres institutions financières et faire la promotion des intérêts du mouvement… (M. Beauchamp, 1989, p. 11)» 

De 1900 à 1985 la communication du mouvement Desjardins, d’après Michel Beauchamp, a connu quatre phases : la phase «de la  propagande », la phase « de l’information et de l’éducation », la phase « de l’information et de la publicité » et enfin la phase « Image, Publicité et d’une politique globale de communication ».

1900-1950 : 50 ans de propagande du mouvement Desjardins

Pendant près d’un demi-siècle, la politique de communication du mouvement Desjardins a été dominée par la propagande dans le sens d’action de vulgarisation pour faire connaitre le mouvement. Il s’agit pour les dirigeants d’expliquer aux futurs coopérateurs  les objectifs et le fonctionnement d’une coopérative d’épargne et de crédit, […] de les convaincre du sérieux et de la viabilité de la formule des caisses populaires (Beauchamp, 1989, p. 12) ».

Le fondateur Alphonse Desjardins et les membres du clergé constituaient les principaux propagandistes du mouvement. Desjardins lançait un vaste programme de propagande qui vise les leaders d’opinion : ministres, députés, évêques… Cette propagande a favorisé, en 1906, le vote d’une loi sur le syndicat coopératif. L’adoption de cette loi facilite grandement le travail de vulgarisation des promoteurs du mouvement.

Dans le cadre de cette politique de propagande, les responsables du mouvement s’adonnaient à des conférences, à la publication d’articles de presse, à la prise de contact ou développement de réseaux,  à la production de mémoires et à l’animation de l’Action Populaire Économique, une association créée pour faire connaitre la formule des caisses.
Desjardins a été appuyé par l’abbé Philibert Grondin, l’auteur du fameux Catéchisme des Caisses Populaires publié en 1910. Le fondateur du mouvement des caisses a beaucoup misé sur l’appui du clergé pour le développement du Mouvement.

Les ouvriers, les agriculteurs, les membres du clergé, les jeunes furent les principales cibles visées par les actions de vulgarisation du mouvement des coopératives. La formule des Caisses Scolaires fut créée justement pour atteindre les jeunes. 

Les activités de propagande se poursuivent après la mort du fondateur, A. Desjardins en 1920. En 1924, un congrès fut organisé par le Comité de Propagande du Crédit Populaire, et en 1932, la Fondation de la Fédération de Québec des Unions Régionales des Caisses Populaires Desjardins fut créée avec le mandat de s’occuper de la diffusion des idées du d’A. Desjardins et de faire connaitre la formule des caisses populaires (Beauchamp, p. 13). 

En 1935, le mouvement se donne un nouvel outil pour appuyer sa politique de propagande : la revue « La caisse Populaire Desjardins » qui devient en 1941 « La revue Desjardins ». Elle s’adressait aux dirigeants des Caisses Populaires en vue de les sensibiliser sur divers aspects de la doctrine Coopérative. 

De 1930 à 1950 les efforts de propagande du mouvement Desjardins s’intensifie grâce à l’aide financière du gouvernement. 

Outre la Revue Desjardins et la création des Caisses Scolaires pour favoriser l’expansion des caisses et diffuser les idées d’Alphonse Desjardins, les dirigeants du mouvement ont utilisé la radio et le cinéma pour faire connaitre la vie et l’œuvre du fondateur. Ils organisent aussi des congrès et des colloques à l’intention des dirigeants et sociétaires des caisses populaires. 

Ils continuent aussi à solliciter et à profiter du clergé. Dans les milieux agricoles, ils rencontrent les agriculteurs dans des cercles d’étude pour les convaincre de l’utilité des caisses populaires. 

La première phase de la communication du mouvement des Caisses Desjardins se termine vers les années 1950 avec l’avènement de la télévision. Le mouvement va de moins en moins utiliser l’expression propagande, les dirigeants parlent de préférence d’information et d’éducation.

L’avènement de l’ère  de l’information et de l’éducation dans le Mouvement Desjardins

Avec l’avènement de la télévision, on assiste à une nouvelle ère dans la politique de communication du mouvement Desjardins, la propagande cède sa place à l’ère de l’information et de l’éducation. 

En 1958, les caisses  populaires Desjardins et l’Assurance-vie Desjardins ont financé une série de 26 émissions hebdomadaires d’une demie heure chacune sur la télévision de Radio-Canada. La série s’intitule « Joindre les deux bouts ».  L’objectif est de sensibiliser les citoyens du Québec à la nécessité d’équilibrer leur budget familiale et de résoudre leurs problèmes financiers.

En 1961 « Joindre les deux bouts» fut remplacé par « Droit de Cité », une émission sur la politique municipale, la participation au gouvernement. En 1963 la série « Famille aujourd’hui »  est conçue pour sensibiliser la population sur les besoins et conditions de vie des familles canadiennes-françaises. 

Pendant cette période d’autres séries ou émissions à caractère éducatif ont été conçues et abordent des thèmes comme : les régions du Québec, le problème de la faim dans le monde, la situation des jeunes, la condition des femmes, les principes coopératifs, etc. Citons :
·        « Au pays de Terre-Neuve » en 1960 ;
·        «La faim des autres » en 1964 ;
·        « Les 15 – 25 » en 1964 ;
·        « Deux millions de femmes » en 1965 ;
·        « Défis nouveaux » en 1966 ;
·        « Vivre  entre 1966 et 1969» ;
·        « Boni populaire Desjardins » entre 1968 et1969
Outre ces séries, le mouvement Desjardins a sponsorisé des productions radiophoniques comme « Fête au Village » et a financé la publication des revues qui s’adressent aux dirigeants et aux membres des caisses.

La Revue Desjardins, créée en 1930 poursuit son bonhomme de chemin et assure la formation technique et coopérative des dirigeants pendant que la revue Ma Caisse devient au cours des années 1960 un important moyen d’information pour les membres des caisses locales. Les deux revues dépendent depuis 1963 du service d’éducation de la Fédération de Levis.

La revue Ma Caisse  participe à l’éducation économique et sociale des membres. Le mouvement réalise aussi la production de dépliants et de prospectus pour informer le public.
L’information aux sociétaires vise le développement de l’esprit d’appartenance  chez eux. D’où la croissance de la revue Ma Caisse  de 200 000 exemplaires en 1960 à 500 000 exemplaires en 1968.

Le Mouvement Desjardins visait un projet global de communication et d’éducation populaire. On a assisté à la Création de l’Institut Coopératif Desjardins, un service d’éducation au sein de la Fédération. Il organisait des colloques, des congrès et les activités des caisses scolaires qui connaissaient une expansion remarquable. En 1967, l’actif des caisses scolaires dépassait les 10 millions de dollars.

 

1970 : la publicité s’ajoute à l’information

Au début des années 70, les responsables du Mouvement Desjardins conçoit un service d’information et de publicité composée des relationnistes, d’agents d’information, de publicitaires et d’autres spécialistes de la communication. Ce service a pour responsabilité de développer de bonne relation avec les medias, de fournir des conseils aux responsables des instances régionales et locales en matière de communication. Ce service s’occupait aussi de la réalisation de campagne de publicité et contribue à une politique d’image cohérente du mouvement. 

Dans le domaine de l’information, les responsables du mouvement adoptent une stratégie visant trois cibles : les dirigeants, les membres et les employés. Aux dirigeants élus s’adressait La Revue Desjardins, Ma Caisse aux membres et pour le personnel, une nouvelle revue Uni-D est conçue avec des textes techniques. Elle partageait des informations qui concernent les 9 000 collaborateurs, les promotions, les départs et les réussites personnelles.
La semaine des caisses populaires au mois d’octobre est aussi un moyen ou une occasion pour communiquer avec diverses manifestations relatées par les medias.
Les autorités reconnaissent le rôle que jouent les employés dans le développement du mouvement. Ainsi, œuvrent-ils pour obtenir leur sentiment d’appartenance et susciter leur attitude positive envers les membres.

Au niveau de la publicité, c’est l’époque des campagnes d’envergure. Il a été mémorable, la  campagne « Pop-Sac-A-Vi-Sau-Sec-Fi-Co-Pin ». Il s’agissait d’une déclinaison des neuf institutions du Mouvement Desjardins par une fillette dans une vidéo. Les grandes campagnes publicitaires du mouvement visent à contrecarrer les campagnes actives pour ne pas dire agressives des banques dans les domaines de l’épargne et du crédit.

En 1971-72 le mouvement Desjardins a  réalisé la campagne « C’est toi, c’est moi, c’est lui, c’est nous-autres » pour rappeler aux membres, qu’ils sont chez eux, un endroit accueillant où il y a des solutions à leurs problèmes financiers. 

1975 ramène le  75e anniversaire de la fondation de la première caisse populaire Desjardins et a donné lieu à de multiples activités d’animation, d’information, de promotion et de relations publiques, dont une rencontre internationale, l’émission d’un timbre en l’honneur d’Alphonse Desjardins, la publication d’un livre sur la vie d’Alphonse Desjardins et la création du Prix annuel Desjardins.

 

La publicité, le souci de l’image et une politique globale de communication

Depuis les années 70, les responsables du mouvement Desjardins manifestent un souci majeur pour l’image du mouvement et sont intéressés a véhiculer une image cohérente. Pour la responsable de la Direction Information et Publicité de la Fédération d’Union régionale, affirme Michel Beauchamp, la communication doit être claire, l’image du mouvement unique…, et la publicité doit être cohérente pour les récepteurs (Beauchamp, p.21).

Pour avoir cette cohérence, les responsables font appel à une seule agence publicitaire, et ils mettent en avant la dimension financière et sociale du mouvement.

En 1981, les responsables réalisent la campagne institutionnelle du mouvement «  Dialogue entre le membre et sa caisse par le biais du personnel ». A cette époque, on constate que la pub n’est qu’un élément de communication entre la caisse et son membre et ne représente pas la solution à tous les problèmes. 

En 1983, les autorités créent une vice-présidence Recherche et marketing «  en vue de se donner une stratégie globale pour mieux intégrer les activités de communication du mouvement. Elle a pour finalité la réalisation des activités de communication à caractère institutionnel ». 

Les activités de communication sont planifiées et coordonnées par la direction de communication de la Confédération, telles que : l’offre de services, la publicité, l’information, les relations publiques.

En 1983, le conseil d’administration de la fédération adopte un vaste et ambitieux programme pour la période allant de septembre 1983 à Juillet 1986 afin « faire connaitre et faire apprécier le mouvement Desjardins comme un réseau de services financiers sur, concurrentiel et adapté aux besoins des particuliers et des sociétés et qui en raison de son caractère coopératif est voué à l’intérêt de ses membres et de la collectivité (BEAUCHAMP. p.24) ». 

Pour y parvenir, les responsables ont utilisé les résultats d’une étude réalisée en 1982 sur les forces et faiblesses de l’image de Desjardins ainsi que sur la perception des membres et du public sur le mouvement. 

Pour plus d’un, Desjardins fait partie de la « ligue majeure de la finance », mais elle n’est plus perçue comme une organisation coopérative à cause de son envergure. Les caisses demeurent encore des organisations qui appartiennent à la communauté, elles sont perçue comme étant « de chez eux ».

La communication du mouvement était trop axée sur les affaires, les responsables décident de réintroduire dans leurs activités de communication «  la finalité propre des institutions Desjardins, c’est-à-dire être au service de leur membres et de leur milieu ». Et ils vont mettre en place une politique intégrée de communication  pour «  démontrer que par son réseau, la variété de ses services financiers, la multiplicité et la compétence de son personnel, son implication dans tous les milieux, et presque toutes les circonstances, son aspect collectif et québécois, il est normal de faire affaire et de faire confiance à Desjardins, p.25». 

Le programme triennal de communication 1983-86 sera implémenté en trois étapes :
  •  La première phase concerne l’information des dirigeants et employés et vise l’animation du public interne ;
  • La deuxième phase  encourage «  l’intégration et le développement de programme de communication existant dont ceux relatif à la production du discours officiel, à la publicité et aux relations publiques »
  • Dans la dernière phase les dirigeants cherchent de nouveau moyen de communication.

Pendant 85 ans, une communication puissante et de bonne qualité a été la préoccupation majeure du Mouvement Desjardins. Au fil des temps, le message véhiculé et les moyens de communication utilisés ont changé pour s’adapter aux circonstances. De la propagande passant par l’information, l’éducation et la publicité, le Mouvement Desjardins parvient à dresser une image cohérente et une politique globale de communication. Trois revues, des séries télévisées, des campagnes de marketing d’envergure, des services et des organisations dédiés à la communication, le mouvement s’est offert les moyens de sa politique. Le Résultat : cette petite institution financière de type coopératif, taillée sur mesure pour les ouvriers et les agriculteurs précaires dans un Québec non encore développé, démarrée avec quelques centimes à l’aube du siècle dernier, est devenue l’une des plus grandes institutions financières de l’Amérique du nord et comportant diverses institutions membres. 

Qu’est-ce que les caisses populaires haïtiennes ont à apprendre de l’histoire de la communication du Mouvement Desjardins ? Qui doit s’occuper de la communication pour le secteur ? Quel message diffusé et pour quel public-cible ? Quels moyens doit-on mobiliser ? Quelle perception a la population des caisses populaires haïtiennes ? Quelle image doit-on véhiculer ? 

Nous vivons dans le pays le plus appauvri de la planète (Colonisation, guerre de l’indépendance, la rançon de l'indépendance, l’impérialisme, les politiques néolibérales, les dictatures, la corruption...), et ayant une très large disparité sociale. Un pays où plus de la moitié de la population crève de faim et évolue dans une misère abjecte. Les coopératives de tout type peuvent apporter leur contribution à l’avènement d’une Haïti meilleure, « Ayiti nou vle a ». Il faut qu'elles se transforment en un mouvement et soient dotées d’une vision et de la volonté. La communication aura un rôle majeur à jouer dans cette nouvelle vision coopérative pour une Haïti meilleure.

Nonais Derisier
8 Juillet 2019





[1] Ce texte est basé sur les données et informations  du livre de Michel BEAUCHAMP LA COMMUNICATION ET LES ORGANISATIONS COOPERATIVES - Le cas du Mouvement des caisses Desjardins, Gaëtan Morin éditeur, 1989.