LES CAISSES POPULAIRES HAÏTIENNES : SUR LA ROUTE DE DEVENIR DE VERITABLES FORCES FINANCIERES!

Le mouvement  coopératif haïtien est vieux de près de 80 années pour les coopératives agricoles et de 70 ans pour les caisses populaires. Il reste néanmoins méconnu du grand public. Les coopératives ne constituent pas le sujet de prédilection des journalistes, chercheurs, chroniqueurs et historiens haïtiens. Les coopératives elles-mêmes communiquent très peu. Le mouvement coopératif haïtien fait aussi l’objet de certaines idées reçues. Quand on prononce le mot coopérative en Haïti, on se réfère souvent aux structures pyramidales qui offraient des intérêts de 10% et plus sur les dépôts.
 
En effet, un cas flagrant de cette méconnaissance et des idées reçues sur le mouvement coopératif haïtien a été enregistré dans une publication parue dans les colonnes  de Le Nouvelliste du 09 Mars 2015, dans la rubrique « Des idées pour le développement ».  Traitant de l’importance de la solidarité dans le développement, le journaliste a déclaré que : «  Le vrai combat contre la pauvreté se fait par la solidarité agissante comme l’a démontré le Québec avec le mouvement des coopératives… » Il affirme qu’en absence du mouvement coopératif ou de « cette forme de solidarité financière dont les Caisses Populaires Desjardins constituent le porte-étendard,  […] la province francophone du Canada ne serait pas à ce niveau de développement. » Se référant aux caisses populaires haïtiennes, le journaliste précise que : « Chez nous, l’expérience coopérative a vite tourné à l’arnaque […] aujourd’hui, les vraies coopératives peinent à trouver des déposants ce qui écarte toute possibilité de faire de ce mode de financement un levier du développement national comme au Québec.» Cette déclaration se base sur la débâcle des structures pyramidales communément appelées, et à tort,  coopératives 10%, qui ne correspondaient pas à la philosophie coopérative et ne mettaient pas en pratique les principes du mouvement.
Pour dissiper certaines idées reçues sur le mouvement coopératif haïtien et faire connaitre l'ampleur du secteur, à la lumière de la révolution récente enregistrée au niveau des caisses populaires haïtiennes, nous démontreront qu'elles se sont remises avec succès du cauchemar de 2001 et qu’elles commencent à s’imposer dans certaines régions du pays comme de véritables forces financières  par leur capacité de collecter de l’épargne, mais surtout par l’utilisation faite de cet épargne et du trop-perçu que  génèrent leurs opérations.  
 
Le 4 février 2015, la BRH et la Fédération des Caisses Populaires Le Levier ont procédé à la signature du protocole autorisant les caisses de cette fédération à participer à la chambre de compensation. Au cours  de cette cérémonie, le Gouverneur de la BRH, Monsieur Charles Castel a souligné que  le réseau de Le Levier, qui est composé de 42 Caisses fédérées ou « en transition »,  a un actif de 4.8 milliards de gourdes et un fonds propre de 1.3 milliard de gourdes et compte 561000 sociétaires. Nous avons salué cet évènement dans le blog http://haiti-coop.blogspot.com comme : « le plus grand évènement financier du début du 21eme siècle en Haïti. » Par cet accord, les Caisses Populaires vont pouvoir créer de la monnaie au même titre que les banques et offrir tous les services financiers réservés à ces dernières : émission de chèque et de carte de crédit. Elles participeront aussi au système de paiement interbancaire de la BRH communément appelé SPIH.
Malgré ce niveau développement, le mouvement coopératifs reste méconnu en Haïti, et plus d’un n’affiche aucun intérêt pour ce secteur. Lors de la cérémonie de la signature du protocole entre la BRH et Le Levier pour la participation de cette dernière à la chambre de compensation, Le Nouvelliste, n’a pas fait un grand titre avec cet évènement. Il a, de préférence, publié sur sa page de couverture un texte sur le financement du déficit public, rapportant les propos du Gouverneur émis en marge de la cérémonie de la signature du protocole entre la BRH et Le Levier.
Pour éclairer la lanterne de plus d’un, sachez que les caisses populaires connaissent depuis 10 à 15 ans une évolution certaine et elles sont sur le point de devenir de véritables forces financières dans certaines régions du pays, sans battre la grosse caisse, sans tambour ni trompette. Elles n’éprouvent aucune peine à collecter de l’épargne et  drainent l’épargne vers le crédit dans le commerce, dans le logement et dans des activités productrices dont l’agriculture. Une partie de leur surplus est utilisée  pour financer des activités communautaires ou sociales. Dans tous les départements du pays, il existe une ou plusieurs grandes caisses populaires. Tous leurs indicateurs dont l’épargne connaissent une croissance de 10 à 30% l’an. Elles participent à l’inclusion financière, comme l’a fait remarquer le gouverneur de la BRH le 4 février 2015.
Brièvement, voici le portrait de quelques-unes des caisses populaires haïtiennes qui font la fierté de leur région, de leurs sociétaires et de leurs dirigeants et personnels.
Commençons par la CAPOSAC de Camp Perrin. Elle est vieille de 66 ans. Au 30 Septembre 2014, elle disposait d’un actif de 480.5 millions de gourdes dont 133.6 millions de fonds propre, soit % 27.6 % de taux de capitalisation, alors que 12.5 % serait suffisant suivant les normes de la BRH pour les caisses populaires. Les sociétaires épargnent 319.42 millions de gourdes, cette somme accuse 20% de croissance par rapport à l’année antécédente. CAPOSAC ne se distingue pas seulement par la force de son actif, ou par la confiance qu'elle inspire, confiance qui se traduit par le dépôt de près de 320 millions de gourdes, mais aussi par l’utilisation de cet épargne et du trop-perçu généré par ses opérations financières. Pour le dernier exercice, la CAPOSAC a décaissé 3049 prêts pour la valeur de 283 millions de gourdes dont 103.7 millions soit 36.64 % au commerce, incluant les entreprises de services, 88.2 millions, soit 31.16% à l’agriculture, 75.3 millions ou 26.61% au logement.
La CAPOSAC est aussi un grand mécène dans le département du Sud. Elle subventionne des activités sportives, sociales, religieuses et des activités de développement. En 2012, elle a financé à hauteur de trois millions de gourdes la construction d’un bloc sanitaire (toilettes publiques), l’installation de poubelles et la rénovation du système d’adduction d’eau potable de Camp Perrin.
En ce qui concerne la Caisse Populaire Ressource Confiance de Marigot (CPRCM), créée en 1984, elle détenait, au 30 septembre 2014, un actif qui s'élevait à 138.6 millions de gourdes, une augmentation de 17.4% par rapport à l'exercice précédent. Elle a accordé près de 116 millions de gourdes en crédit au logement, à l’agriculture, au commerce, etc. La population marigotienne y épargne  près de 74.8 millions de gourdes. L’avoir de la caisse s’élève à 47.5 millions de gourdes, soit un taux de capitalisation de 34.32%. La CPRCM réalise des opérations très rentables. Après avoir couvert toutes ses dépenses, elle lui restait un surplus ou trop-perçu de 10.263.978 gourdes soit 7.2 % de son actif pour son dernier exercice. Ce trop-perçu est utilisé pour augmenter les avoirs de la caisse ou son taux de capitalisation, pour accorder des ristournes et pour réaliser des activités communautaires. La CPRCM crée une trentaine d’emplois directs et près d’un millier d’emplois indirects sont créés ou valorisés par l’octroi d’un crédit.
La CAPOSOV, de son coté, créée le 22 octobre 1986 dans la commune de Verrettes, a un actif social de 18 704 sociétaires, un actif financier de 231 millions de gourdes alimenté par 166.5 millions de gourdes d’épargne et de 44.5 millions de gourdes en avoir.  Pour le dernier exercice, son actif a cru de 12% et son épargne de 16 %. La CAPOSOV a accordé 1891 prêts pour un montant de 156.6 millions de gourdes.
Quant à la COOPECLAS de Lascahobas, elle a un actif de près 230 millions de gourdes, un portefeuille d’épargne de 148 millions de gourdes et un avoir de 42.5 millions de gourdes. Pour son dernier exercice, elle a accordé 2888 prêts pour une valeur de 204.3 millions de gourdes. Elle a 31 000 sociétaires.
Au niveau du département de l’Artibonite, SOCOLAVIM, créée il y a vingt ans à Saint Marc, est devenue la Caisse du département de l’Artibonite, à côté de la CAPOSOV (Verrettes), de la KPEGM (Gros-Morne), de la COPECPRA (Petite Rivière de l’Artibonite) et de la CAPOSOSMA (Saint-Michel de Latalaye). SOCOLAVIM est sur le chemin de devenir une force financière au niveau de son département avec près de 50 000 sociétaires, 416 millions de gourdes d’actif, 265.8 millions en épargne. Son actif a cru de 20% et son épargne de 15% pour l’exercice se terminant au 30 Septembre 2014. Elle a accordé 2 658 prêts pour une valeur de 253 millions de gourdes.
KOTELAM à Port-au-Prince, qui a célébré son vingt-cinquième anniversaire en 2013, représente aujourd’hui une force financière avec 78 512 sociétaires, 396.57 millions de gourdes d’actif, 315.6 millions de gourdes d’épargne et un portefeuille de crédit de 237.7 millions de gourdes.
Il existe actuellement en Haïti une cinquantaine de caisses populaires agrées, une fédération de caisses ou institution financière de deuxième degré, Le Levier et une association défendant les intérêts des caisse, l’ANACAPH. Le mouvement des caisses populaires est vieux de près de 70 ans. L’histoire des caisses haïtienne pourrait être divisée en deux grandes étapes. La première commença avec la création de la première Caisse populaire à La Vallée : La Petite Epargne en 1946. Cette tranche d’histoire a duré cinquante ans, de 1946 à 1996. Cette période fut caractérisée par la modicité de l’actif des caisses, qui dépassait rarement un million de gourdes. Il s’agissait d’associations de petits épargnants comme l’indique le nom de la première caisse. Elles accordaient de très petits crédits. Cette période était aussi caractérisée par une vive animation coopérative avec un rituel de chants, de cercles d’étude, de cérémonie prestation de serment pour devenir sociétaire. A cette période les coopératives étaient rachitiques du fait qu’il leur manquait le savoir-faire nécessaire à la gestion d’une institution financière. Les caisses n’avaient pas de système comptable adéquat leur permettant de sortir des rapports financiers fiables. C’était aussi la période des assemblées générales très animée avec la distribution de ristournes en absence de rapports financiers vérifiés.
Le mouvement des caisses populaires allait connaitre sa première révolution à partir de la deuxième moitié des années 90 avec l’avènement du projet de revitalisation du mouvement coopératif haïtien (PRMCH). Ce projet a été financé par l’ACDI et mis en œuvre par DID (Développement International Desjardins) et SOCODEVI (Société de Coopération pour le Développement). Il a permis aux Caisses de se professionnaliser en recrutant des cadres formés pour remplacer les gérants bénévoles, en implantant un manuel de politique et de procédures administratives et comptables permettant la sortie régulière des rapports financiers. Il s’agit du début de la professionnalisation des caisses populaires haïtiennes qui allaient prendre leur vitesse de croisière pour devenir de véritables institutions financières de type coopératif.
Aujourd’hui, il y au moins une grande Caisse Populaire dans toutes les grandes villes d'Haïti: KOTELAM à Port-au-Prince, CPF au Cap Haïtien, SOCOLAVIM à Saint Marc, CAPOSUD aux Cayes, Espoir et SUCCES à  Jacmel. Il en existe aussi dans des communes de taille plus petite comme Gros-Mornes (KPEGM), Marigot (CPRCM), Verrettes (CAPOSOV), Camp Perrin (CAPOSAC), et j’en passe. Elle publie régulièrement des rapports financiers vérifiés par des comptables agréés et elles sont souvent inspectées par la BRH.
 
Afin que tous et toutes le sachent : les Caisses Populaires haïtiennes, un peu partout, sont en train d’écrire de belles pages dans l’histoire économique et sociale du pays. SOCOLAVIM, COOPECLAS et CAPOSAC, pour ne citer que celles-là, représentent les plus grandes réalisations respectives des Saint-Marcois, des Lascahobasiens et des Campérinois de toute l’histoire des communes de Saint-Marc, de Lascahobas et de Camp-Perrin. Il est tant que les étudiants, les chercheurs, les historiens, les journalistes et toute la société commencent à s’intéresser à ces institutions de l’économie sociale et solidaire, la troisième voix à côté de l’économie privée de type capitaliste et de l’économie publique ! Aujourd’hui, les vraies coopératives haïtiennes existent, elles se développent pour devenir des forces financières et « ne peinent pas à trouver des déposants. » Elles commencent à devenir « un levier du développement national. » Les machins de 10% de la fin des années 90 et début de 2000 ne représentaient qu’une petite entorse au mouvement, et a été vite traité par la publication de la première loi régissant exclusivement les caisses populaires en 2002 et aussi par la détermination des acteurs du secteur à vivre les valeurs et les principes coopératifs.
 
Nonais Derisier, économiste
nderisiers@gmail.com
1er Juin 2015