L’incendie du restaurant La Courtoisie ou de Rosie Salon de beauté met en évidence les limites du crédit traditionnel

Plaidoyer pour la création de nouveaux outils financiers  (assurance, fonds de garantie, plateforme de finance participatif, …) dans le milieu des coopératives haïtiennes

J’animais une séance de formation à la KOTELAM, quand mon ami Prophète Fils-Aimé, Directeur de la SOCOLAVIM m’a appelé pour m’apprendre la triste nouvelle de l’incendie qui a consumé La Courtoisie, le restaurant que tenait notre ami Nourissant, le Directeur de la COOPECLAS. C’est la meilleure place à Lascahobas pour déguster un tendre cabri ou  savourer un délicieux poisson grandi dans le fleuve de l’Artibonite au niveau du barrage de Péligre à « dlo gaye ». La Courtoise est aussi une place confortable pour organiser des réceptions nuptiales et d’autres activités festives. Cet incendie a emporté dans ses flammes criminelles l’économie et l’investissement de près d’une décennie.

Pour avoir été victime d’évènements similaires et si accablants, je connais et comprends la situation vécue par Nourissant et surtout celle qui s’en suivra les jours et mois à venir. En effet, les 5 et 6 Juillet 2018, j’étais à Camp Perrin, pour organiser la journée Internationale des Coopératives (JIC-2018), quand j’ai appris que le salon de beauté de la famille, l’un des plus jolis du pays, a été pillé et incendié dans le Plaza de Delimart. Les véhicules de quelques clients ont été aussi carbonisés. Cela ne m’a pas empêché de continuer les commémorations coopératives et surtout de m’arranger pour obtenir assistance pour les dirigeants coopérateurs qui, sur le chemin du retour, étaient bloqués au niveau de Léogane et de Gressier. Ils ont été secourus par les Caisses de la zone notamment MAMEV. Une belle expérience de solidarité coopérative. 
Rosie Salon de Beauté en service
Après pillage et incendie

Nourissant a certainement reçu la sympathie de plus d’un des quatre coins du pays et du monde. On l’encourage sûrement à redémarrer. Aujourd’hui encore après huit mois du pillage et de l’incendie de Rosie Salon de Beauté, les clients rencontrés au hasard me demandent « Kile wap rekomanse ». Par expérience de victime d’acte similaire, je sais qu’il est difficile à mon ami de  recommencer sans un support exceptionnel. 

La Courtoisie a été d’abord une boutique appelée couramment un mini market. Il fut progressivement transformé en restaurant. Sortir du petit commerce à une entreprise de restauration de classe a été une très belle initiative. La Courtoisie est le fruit de plus de 10 ans d’investissement continu, mais aussi de dur labeur. Rebâtir en quelques mois, l’édifice qui a coûté plus de dix ans pour s’ériger est un pari difficile voire impossible. 

La Courtoisie est, comme toute entreprise, un actif financé par un passif et par l’avoir du ou des propriétaires. L’actif a été carbonisé, et n’existe plus. L’avoir aussi est emporté par les flammes. Il y a qu’un élément de l’équation comptable qui reste vivant : le passif, l’ensemble des dettes de l’entreprise, le crédit de la caisse, les crédits fournisseurs et tous autres comptes à payer. 40% de mon salaire est aujourd’hui utilisé pour payer le crédit accordé à ma famille sur la base des revenus générés par le salon de Beauté qui a été grillé le 6 juillet 2018. On a encore des engagements à honorer envers nos fournisseurs.

A la fin du mois Nourissant recevra certainement des appels de ses employés pas pour perpétuer les manifestations de sympathie à son égard, mais pour lui bredouiller : « Direk, m konen bagay yo te mal pase, men Manman Sol la pa konprann sa, direkte lekol la pa okouran sak te pase … ».

En absence d’une couverture d’assurance seuls les passifs d’une entreprise est solide et pérenne, car il s’agit d’une écriture comptable inscrit dans le cahier du créditeur avec un crayon comme celui du bon dieu, un crayon sans gomme. Nourissant pendant des années utilisera son salaire pour payer les prêts de son entreprise qui n’existe plus. Un paradoxe ! 
 
Avant pillage et incendie
le local après pillage et incendie

Avec une dette sans revenu en contrepartie,  il est donc évident que Nourissant ne peut pas consentir de nouveaux emprunts significatifs pour relancer son entreprise parce que d’une part la somme nécessaire pour rétablir l’entreprise à son niveau antérieur serait élevée, et il n’aurait certainement pas la capacité d’emprunt, d’autre part tout nouveau emprunt glisserait mon ami dans le gueule du surendettement, il sera dévoré par un cumul de crédits impossibles à rembourser.  

Dans ce cas qu’est-ce qu’il faut faire ?
Nos caisses populaires doivent commencer à prendre conscience que le crédit est comme un marteau. Il sert aussi bien à construire qu’à détruire. Elles doivent concevoir des produits financiers pour parer aux risques liés au crédit. Un jeune couple qui emprunte trois millions de gourdes pour acheter ou construire une modeste maison sur la base des deux salaires du couple, si l’un des deux décède après un an ou deux, en aucun cas le survivant du couple ne pourra rembourser. Une simple police d’assurance pourrait éliminer le risque de non-paiement en cas de décès.

Les caisses doivent concevoir des produis d’assurance, constituer des fonds de garantie, et alimenter des fonds de prévoyance pour aider des sociétaires en difficulté. 

Pour mon ami Nourissant, il faut aujourd’hui trouver une formule pour le supporter. Pas de charité, pas de faveur, il est possible de concevoir un produit financier pour de pareilles circonstances. 

Je propose de lancer un « Konbit Finance & solidarité », la première structure de finance participative dans le secteur des caisses populaires ou des coopératives en générale. Il s’agit de créer une application pour recevoir des demandes de financement pour des projets d’entreprises innovants, environnementaux, sociaux, ou qui nécessitent de la solidarité par des prêts avec ou sans intérêts ou des dons avec ou sans contrepartie. La plateforme mettra en relation des personnes physiques et morales qui ont besoin de financement pour leurs projets d’entreprise à des personnes physiques ou morales qui qui veulent manifester de la solidarité, ou appuyer une initiation par un financement minime qu’il soit.  

Comment opérationnaliser l’idée du Konbit Finans ? On a besoin d’un ou d’un groupe d’informaticiens développeurs pour concevoir l’application ou la plateforme. Elle sera configurée pour : 1) recevoir le projet pour demande de financement,  2) recevoir le financement des particuliers par cartes de crédit internationales  (master, visa et autres) et locales (Sogeizi, Unibank tout kote, Cash Mobile…) et tous autres moyens de paiement électronique, en ligne et mobile ; 3) délivrer des certificats de financement avec montant, conditions du prêt, 3) assurer la gestion de la structure … Toutes les opérations seront réalisées en ligne ou sur le mobile. 

Pour financer la création de la plateforme et son hébergement en ligne, on peut faire appel à la générosité des coopératives d’épargne et de crédit. Elle peut être réalisée à partir des ressources des développeurs qui en assureraient la gestion et percevraient un frais ne dépassant pas 2.5 % des sommes collectées. 

Les malheurs de Rosie Salon de Beauté lors des émeutes de Juillet 2018, les mésaventures de La Courtoisie accidentellement ou criminellement incendiée ne sont que des échantillons d’entrepreneurs fauchés par les risques de la vie et qui sont obligés de travailler pour rembourser les dettes d’une entreprise effondrée alors qu’il existe des produits financiers qui pourraient contribuer à minimiser de tels risques : assurances, fonds de garanties et fonds de prévoyance. Il nous faut aussi de nouveaux outils financiers pour satisfaire des besoins pour lesquels les financements traditionnels sont inaptes.  Le crowdfunding, le financement participatif, ou en créole le « Konbit-finans » est l’une de ces innovations à expérimenter en Haïti.
Nonais Derisier
24 Mars 2019