Le plus grand évènement financier du début du 21eme siècle en Haïti
Le 4 février 2015 est une date qui restera mémorable pour le secteur
coopératif et l’ensemble du secteur financier haïtien. Après 13 années d’attente,
la Banque de la République d’Haïti (BRH) a signé enfin l’accord mettant en
application l’article 111 de la loi sur les Coopératives d'Epargne et de Crédit (CEC) stipulant que « les fédérations de CEC
sont admises à la chambre de compensation assurée par la BRH. » En effet,
en présence des dirigeants des caisses populaires et quelques organisations
intervenant dans le secteur de la finance en Haïti et sous les feux des caméras
de la presse, le Gouverneur Charles
Castel et le Président de la Fédération l’agronome Bercy Richard ont parafé
l’accord autorisant la fédération Le Levier à participer à la chambre de
compensation.
Par cet accord, les caisses affiliées à Le Levier sont autorisées à émettre
des chèques comme les banques qui seront reçus par les entreprises et peuvent
être déposés dans n’importe quelle banque et caisse populaire en Haïti. Cet
accord donne aussi la possibilité à la fédération de participer au système de
paiement interbancaire haïtien de la BRH communément appelé SPIH. Un sociétaire
peut recevoir sur son compte ou réaliser
à partir de son compte un virement bancaire d’un ou vers un compte d’une autre
banque en Haïti. Cet accord ouvre aussi
la voie aux caisses pour offrir tous les services financiers traditionnellement
offerts par les banques, les cartes de crédit y compris.
Pour Charles Castel, cet évènement qui est l’aboutissement de beaucoup
d’effort, mérite d’être marqué parce qu’il participe à l’inclusion financière.
Il marque aussi un progrès majeur dans les habitudes dans le système financier haïtien. Il souligne
que le réseau de Le Levier qui est
composé de 42 Caisses fédérées ou « en transition » , a un actif de 4.8 milliards de gourdes et un
fonds propre de 1.3 milliard de gourdes et compte 561 mille sociétaires.
Le gouverneur affirme être heureux et fier de voir ce grand jour. Il s’agit
pour lui d’un grand pas vers l’inclusion financières et l’inclusion tout court.
Les caisses sont, d’après le gouverneur, des institutions par excellence de
bancarisation dans des endroits éloignés où il sera trop coûteux d’avoir une
banque.
Le gouverneur encourage, par ailleurs, les caisses populaires à se structurer
à partir de la fédération ou de n’importe quelle autre fédération – puisque la
loi ne limite le mouvement à une seule
fédération. Cette déclaration est une porte ouverte à des institutions comme
ANACAPH qui œuvre pour doter le pays d’une deuxième fédération. Qu’elle y
rentre du bon pied ! Pas pour nous
offrir une fédération en plus, mais pour renforcer le secteur, donner du
chalenge à la fédération existante et lui donner rendez-vous un jour dans une
confédération de caisses.
Après les propos combien élogieux à l’égard des caisses – une première de
la part d’un si haut responsable haïtien - il revenait au président de la fédération de
faire son allocution de circonstance. D’entrée de jeux, il annonce que
l’évènement du jour représente l’un des objectifs des caisses populaires en
créant la fédération. Il ne s’agit pas d’un don ou d’un cadeau de la BRH,
martèle-t-il, mais la détermination du secteur à enlever les embûches qui se
dressent sur son chemin. Les caisses vont utiliser cette facilité pour attirer
et fidéliser plus de sociétaires. Le président a aussi présenté tous les
avantages que les caisses et les sociétaires vont tirer de ce système. Il a
aussi remercié le gouverneur qui fait de l’inclusion financière son cheval de
bataille.
Cet accord, comme l’a souligné le gouverneur, va profondément remodeler
l’architecture du système financier haïtien. Les caisses vont pouvoir se
tailler une place et une part de marché beaucoup plus large, et aussi jouir d’une
image plus intéressante auprès du public. Les caisses ne seront plus
considérées comme « collectrices de sous » pour les banques étant
donné qu’elles y déposaient une partie de l’épargne des sociétaires. Un
coopérateur n’a plus de prétexte pour avoir un ou plusieurs comptes dans des
banques en plus de son compte dans sa caisse. Il va pouvoir émettre des
chèques, réaliser ou recevoir des virements bancaires, consulter son compte à
partir de son téléphone intelligent ou son ordinateur, avoir sa carte de crédit
émise par sa caisse, et par-dessus le marché aura des attestations avec une
confiance accrue. Que d’avantages !
Surtout pour la classe moyenne, la petite bourgeoisie haïtienne, les
professionnels, les entrepreneurs, les fonctionnaires, les citadins bien lotis…
Qu’en sera-t-il pour que la majorité,
notamment les 1,018,951
exploitants agricoles avec leur famille dont 530,731 d’eux soit 52.3% du total ne
savent ni lire ni écrire, dont 257,670 soit 25% des exploitations sont
exploités par des femmes agricultrices et 11,3% gérées par des jeunes agriculteurs
de moins de 30 ans, totalisent 114.444 exploitants (MARNDR Recensement Général
de l’Agriculture, 2008/2009). Au nom de l’inclusion financière,
il faut trouver le chemin pour aller vers les marginaux et exclus de l’économie
formelle. Il faut pouvoir marcher cinq heures pour se rendre à Ka Michel (Cabaret, département Ouest) pour apporter des services financiers aux
agriculteurs et madans saras.
Tout compte fait, l’évènement de ce 4 février 2015, sera considéré un jour, probablement comme le plus grand évènement du
début du 21ème siècle sur le plan financier en Haïti. Après la
première révolution des caisses populaires à la fin des années 90, cet
évènement participera certainement à l’avènement de la 2ème
révolution des caisses pour nous donner des Caisses 2.0 . Elle sera « une révolution économique, sociale, technologique,
environnementale où la satisfaction des besoins et le développement des parties
prenantes : sociétaires, collaborateurs et communauté seront
sacralisés. »
Nonais Derisier
5 février 2015